Dans une situation en mutation rapide, il est essentiel d’apprendre à s’adapter. Voici douze enseignements à tirer de la crise du Covid-19, afin de savoir réagir aux événements, de communiquer, d’en tirer des leçons et de les appliquer.
Cela étant, compte tenu des niveaux très différents de préparation des entreprises, du potentiel de disruption et de l’utilité d’être mieux préparé en vue de futures crises, il convient d’essayer de résumer ce que nous avons appris jusqu’à présent. En nous appuyant sur notre analyse actuelle et sur l’accompagnement que nous offrons à nos clients dans le monde entier, nous avons identifié les douze enseignements suivants, qui permettent de réagir aux événements en cours, de communiquer, d’en tirer des leçons et d’appliquer ces dernières.
1 / Actualisez les informations tous les jours
Les choses évoluent à une vitesse vertigineuse et la situation change quotidiennement. D’abord, l’épidémie semblait être principalement contenue en Chine et en voie d’être maîtrisée. Puis, plusieurs épicentres d’infection en croissance rapide sont apparus en dehors de la Chine, marquant une nouvelle phase et nécessitant de nouvelles stratégies pour limiter les effets de l’épidémie plutôt que pour la contenir. Notre équipe avait, dans un premier temps, décidé de communiquer des informations toutes les 72 heures, mais nous avons finalement opté pour un cycle quotidien, non seulement pour la mise à jour des données, mais aussi pour repenser notre approche globale.
2 / Méfiez-vous du battage médiatique et des cycles d’actualités
Les médias se concentrent souvent sur les nouveautés plutôt que sur la situation globale et ne font pas toujours la distinction entre les faits avérés, les hypothèses et les spéculations. Les informations d’hier orientent probablement la manière dont votre organisation perçoit la crise aujourd’hui. Face à des informations qui changent vite, qu’il s’agisse d’une nouvelle technologie ou d’une crise émergente, nous avons systématiquement tendance à d’abord négliger les signaux faibles, puis à surréagir aux problèmes qui émergent, avant d’adopter une approche plus mesurée. Quand vous assimilez les dernières nouvelles, portez un regard critique sur la source de ces informations avant de prendre des mesures en conséquence.
3 / Ayez conscience qu’avoir accès à l’information ne signifie pas être informé
Dans notre monde hyperconnecté, les collaborateurs ont directement accès à de nombreuses sources d’information. Compte tenu de la quantité d’informations disponibles en externe, les dirigeants peuvent être portés à croire qu’ils n’ont rien d’autre à ajouter. Nous avons pourtant constaté que créer et partager un résumé des faits et de leurs conséquences, mis à jour régulièrement, était extrêmement utile. Cela permet de ne pas perdre de temps à débattre sur les faits – ou, pire, à faire toutes sortes de suppositions à propos des faits.
4 / Soyez prudent en ce qui concerne les avis d’experts et les prévisions
Les experts en épidémiologie, en virologie, en santé publique, en logistique et autres sont indispensables pour interpréter des informations complexes et en évolution permanente. Mais il apparaît clairement que les avis des spécialistes diffèrent sur des questions aussi cruciales que les meilleures politiques de confinement ou les conséquences économiques. C’est pourquoi il convient de consulter plusieurs sources. Chaque épidémie est imprévisible et unique, et nous continuons à découvrir les caractéristiques de celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Nous devons adopter une approche itérative et empirique pour comprendre ce qui se passe et ce qui fonctionne – même si cette démarche est guidée par l’avis d’experts.
5 / Révisez constamment votre vision des choses
Une synthèse globale de la situation et un plan d’action pour y faire face, une fois couchés sur le papier, peuvent devenir source d’inertie. Un proverbe chinois nous rappelle que les grands généraux sont ceux qui donnent des ordres le matin et les modifient le soir venu.
Mais les grandes organisations sont rarement aussi flexibles. Les managers rechignent souvent à communiquer leurs plans d’action tant qu’ils n’en sont pas certains et ils se montrent ensuite réticents à les changer par crainte d’avoir l’air indécis ou mal informés, ou de générer de la confusion au sein de l’entreprise. Un document évolutif, daté et estampillé « meilleure vision à ce jour » est essentiel pour apprendre et s’adapter dans une situation en mutation rapide.
6 / Prenez garde à la bureaucratie
Les sujets controversés, sensibles ou très médiatisés sont généralement examinés par les instances dirigeantes, les affaires internes, le service juridique, celui de la gestion des risques et par de nombreux autres départements. Chacun aura son mot à dire sur la meilleure manière de communiquer, ce qui mènera à une approche trop généraliste ou conservatrice et à un processus lent et fastidieux.
Il est indispensable de monter une petite équipe fiable et de lui donner suffisamment de marge de manœuvre pour lui permettre de prendre rapidement des décisions stratégiques. La gestion excessive des communications peut être néfaste quand de nouvelles informations de taille sont révélées chaque jour. Calez votre processus interne sur le rythme des événements extérieurs au lieu de le considérer comme allant de soi.
Un document numérique évolutif peut permettre de gagner du temps, en évitant les allers-retours pour soumettre et valider de multiples documents, et réduit également les risques puisqu’il peut aisément être actualisé ou supprimé si besoin. Par ailleurs, faire clairement la distinction entre les faits, les hypothèses et les spéculations peut aider à communiquer une vision plus complète et plus nuancée de la situation.
7 / Equilibrez votre réponse en considérant sept dimensions
Communications. Vos collaborateurs sont certainement exposés à des informations contradictoires et auront des appréhensions et des hésitations quant à la marche à suivre. Veillez à annoncer votre politique rapidement, clairement et de manière équilibrée. Donnez des informations contextuelles et expliquez le raisonnement qui a mené à ces mesures pour que vos collaborateurs puissent affiner leur propre compréhension des événements et prendre des initiatives lorsque se présentent des situations inattendues – comment gérer les prestataires, par exemple.
Besoins des collaborateurs. Les restrictions en matière de déplacements et de rassemblements créent des besoins chez vos collaborateurs : accès à l’éducation, aux soins, aux fournitures quotidiennes, etc. Vous devez anticiper ces besoins, mettre au point des solutions pour y répondre et créer un centre d’information regroupant tous les renseignements nécessaires à vos collaborateurs. Une grande partie de leurs besoins sont spécifiques à l’endroit où ils se trouvent ; il vous faut donc adopter une approche à plusieurs niveaux pour établir vos politiques.
Déplacements. Etablissez clairement votre politique en matière de déplacements en précisant les destinations autorisées, les justifications valables de déplacement, les autorisations nécessaires et la date de révision de ladite politique.
Travail à distance. Soyez précis dans la formulation de votre politique – explicitez son cadre d’application, son fonctionnement et à quelle date elle sera révisée. Dans certaines régions, comme en Chine, le télétravail n’était pas une pratique courante. Vous devez anticiper le fait que des explications supplémentaires sont nécessaires.
Stabilisation de la supply chain. Essayez de stabiliser vos supply chains en utilisant les stocks de sécurité ou des sources alternatives et en travaillant avec les fournisseurs pour éliminer les goulots d’étranglement. Lorsque des solutions rapides ne sont pas possibles, codéveloppez des plans, mettez en place des solutions provisoires et communiquez vos plans à toutes les parties prenantes concernées.
Suivi et prévisions d’activité. Une crise entraîne des changements imprévisibles. Mettez en place des cycles de reporting rapides pour mieux comprendre comment votre activité est impactée, pour savoir où des mesures de limitation de ses effets sont nécessaires et pour observer la vitesse à laquelle les opérations repartent. La crise n’est pas synonyme d’immunité en matière de gestion de la performance : tôt ou tard, les marchés jugeront quelles entreprises ont géré la situation le plus efficacement.
Faire partie de la solution globale. En tant qu’entreprise citoyenne, vous devez soutenir les autres au sein de votre supply chain, de votre secteur d’activité, de votre écosystème et de votre collectivité locale. Réfléchissez à la manière dont votre organisation peut apporter sa pierre à l’édifice, que ce soit dans la santé, la communication, l’alimentation, ou dans tout autre domaine. Visez le point de rencontre entre les besoins sociaux urgents et vos capacités spécifiques – en d’autres termes, vivez votre raison d’être.
8 / Utilisez les principes de la résilience pour élaborer vos politiques
L’efficacité prospère dans un monde stable sans imprévus, et cet état d’esprit prévaut souvent dans les grandes organisations. Mais, pour relever des défis dynamiques et imprévisibles, le principal objectif est la résilience – la capacité à survivre et à grandir lors d’événements inattendus, changeants et potentiellement défavorables. Nos travaux de recherche sur les systèmes résilients indiquent qu’ils possèdent en général six caractéristiques communes, qui doivent être prises en compte dans l’élaboration des réponses à la crise.
Redondance. L’accès à des capacités de production supplémentaires peut aider à atténuer les fluctuations dans la supply chain. A court terme, les entreprises peuvent être contraintes de chercher des solutions en se tournant vers des sources inhabituelles, mais, à long terme, la redondance peut être appliquée.
Diversité. Adopter plusieurs approches pour réussir peut entraîner une perte d’efficacité, mais accroître la flexibilité et la résilience en situation de crise. De la même manière, la diversité des idées peut renforcer considérablement le développement de solutions. Montez une équipe de gestion de crise diversifiée sur le plan cognitif, qui soumettra davantage d’idées pour de potentielles solutions, surtout si la culture d’entreprise encourage à s’exprimer et à respecter la différence de points de vue. Veillez à ne pas traiter la crise de manière unidimensionnelle – comme un problème strictement financier ou logistique – et composez votre équipe de gestion de crise en conséquence.
Modularité. Les systèmes hautement intégrés sont peut-être efficaces, mais ils sont vulnérables aux répercussions en cascade et peuvent même totalement s’effondrer s’ils sont bouleversés. A l’inverse, un système modulaire – dans lequel les usines, les unités organisationnelles ou les sources d’approvisionnement peuvent être combinées de différentes manières – offre une meilleure résilience. Lorsqu’un fournisseur clé de valves de freinage de Toyota est parti en fumée il y a quelques années, l’approvisionnement a été rétabli en quelques jours seulement, car il a été possible d’échanger les productions entre les fournisseurs, même s’ils fabriquaient des composants différents. Demandez-vous comment vous pouvez réorganiser votre système d’approvisionnement de façon modulaire, à la fois à court terme et à long terme.
Evolutivité. Les systèmes peuvent être conçus pour l’optimisation et l’efficacité maximale ou pour l’évolutivité, c’est-à-dire une amélioration constante à l’aune de nouvelles opportunités, informations et problématiques. Les réponses aux crises dynamiques telles que celle du Covid-19 doivent être évolutives. Dans ces situations, il n’y a aucune bonne réponse connue et toute réponse prédéterminée n’est probablement pas la bonne ou risque de devenir obsolète avec le temps. Mais il est possible d’adopter une approche itérative et d’apprendre à chaque étape pour trouver des solutions plus efficaces. Même si de nombreux enseignements seront tirés après coup, agir dès que possible pour identifier ce qui fonctionne et procéder à des ajustements en fonction des résultats reste probablement la stratégie la plus efficace à court terme.
Prudence. S’il est impossible de prédire le cours des événements ou leurs conséquences en ce qui concerne le Covid-19, on peut imaginer des scénarios pessimistes plausibles et mettre sa résilience à l’épreuve dans ces circonstances. Au moment où l’accent est passé de l’endiguement de l’épidémie en Chine à la lutte contre le développement de nouveaux épicentres à l’étranger est apparu un nouveau point d’inflexion, avec un niveau d’incertitude très élevé. Par prudence, les entreprises feraient bien de porter un nouveau regard sur les scénarios les plus pessimistes et de mettre au point des stratégies d’urgence pour chacun d’entre eux.
Intégration. Les entreprises sont des acteurs de systèmes industriels, économiques et sociaux plus larges, qui sont également soumis à de fortes pressions. L’impact de celles qui ne prennent pas en considération leurs supply chain ou leur écosystème de manière globale sera limité. Les solutions qui résolvent des problèmes pour une entreprise en particulier aux dépens des intérêts des autres généreront de la méfiance et nuiront aux activités à plus long terme. A l’inverse, soutenir ses clients, ses partenaires, son système de santé et son système social dans l’adversité peut favoriser des relations durables basées sur la bienveillance et la confiance. Dans les situations de stress économique, il est essentiel d’appliquer nos valeurs, dans un contexte où nous sommes justement susceptibles de les oublier.
9 / Anticipez dès maintenant pour la prochaine crise
Le Covid-19 n’est pas le genre de défi qui ne se présente qu’une fois : nous devons nous attendre à d’autres stades de cette épidémie et à d’autres épidémies dans le futur. Nos travaux de recherche sur l’efficacité des réponses organisationnelles aux crises dynamiques mettent en lumière une variable particulièrement déterminante pour réussir : se préparer et prendre les devants. Il est plus efficace de se préparer dès maintenant à la prochaine crise (ou au prochain stade de la crise) que de réagir avec une réponse de circonstance alors même que la crise fait rage.
11 / Réfléchissez à ce que vous avez appris
Au lieu de pousser un soupir de soulagement et de retourner à vos anciennes habitudes une fois la crise passée, vous ne devez pas manquer l’opportunité qui se présente d’en tirer de précieux enseignements. Même au cœur de la crise, les réponses et leurs conséquences doivent être documentées en vue d’être réexaminées et d’en tirer des leçons. Les situations qui évoluent rapidement exposent les faiblesses existantes des entreprises – incapacité à prendre des décisions difficiles ou tendance excessive au consensus, par exemple –, ce qui représente autant d’opportunités d’amélioration.
A cet égard, la sécurité aérienne, par exemple, constitue l’un des systèmes d’apprentissage les plus efficaces. A chaque fois qu’un incident se produit, qu’il s’agisse d’un imprévu mineur ou d’un accident tragique avec des pertes humaines, des protocoles préétablis sont appliqués pour en examiner les causes profondes avec une précision chirurgicale et des recommandations contraignantes sont formulées. Grâce à cet apprentissage cumulatif basé sur des expériences antérieures, l’avion est – sans surprise – devenu l’un des moyens de transport les plus sûrs au monde.
12 / Préparez-vous pour un monde nouveau
La crise du Covid-19 va certainement transformer en profondeur nos entreprises et notre société. Il est fort probable qu’elle stimule certains domaines comme l’e-commerce ou l’enseignement en ligne et qu’elle entraîne des investissements dans la santé publique. Elle risque aussi de changer la façon dont les entreprises organisent leur supply chain et de les pousser à moins dépendre d’une poignée de gros fournisseurs. Une fois que l’urgence de la crise sera passée, les entreprises devront prendre en considération les changements qu’elle a apportés ainsi que les enseignements qu’elles en ont tirés afin de les inclure dans leurs plans.